La décadanse

MATO SECO EM CHAMAS de Joana Pimenta et Adirley Queirós

Spoutnik

MATO SECO EM CHAMAS, Joana Pimenta, Adirley Queirós, Brésil, Portugal, 2022, 150’

Ainsi de l’ingouvernable Mato Seco em Chamas (Dry Ground Burning – Un brasier de terre sèche, en VF), film brésilien ou apatride, résolument anti-patrie, de Joana Pimenta et Adirley Queirós, un tandem de grands cinéastes en qui tout semble refuser ce genre d’étiquettes superlatives. Son co-auteur, connu pour son éloquence insurrectionnelle dans les discussions d’après-projection, disait le soir de la première que le cinéma commence quand, dans un film, on peut tuer la police. Leur film n’arrête pas de commencer, il réinvente sans cesse sous nos yeux sa propre narration, un plan enflammé après l’autre. A Ceilândia, territoire urbain de la périphérie de Brasília, un quartier populaire assiégé par l’Etat, où Queirós vit et tourne tous ses films – pour le transformer, en commun avec ses habitantes, en zone de fiction à défendre – Mato Seco em Chamas accompagne les trajectoires de deux sœurs, Lea et Chitara, dans leurs pratiques (réelles, fictives, ou autres) d’une liberté menacée. Film de contre-science-fiction, entrant en résistance armée à la science-fiction réalisée par le fascisme fossile au pouvoir dans son pays (une dictature pétrochimique), Mato Seco… trouve du pétrole à Ceilândia, et restitue cette ressource au peuple des femmes en lutte, au gang épique des pétroleuses noires, gouines, mères et cheffes de guerre, qui reprennent le contrôle du quartier. Cette mutinerie, le film la présente, la produit, comme une brûlure lente, calme incendie qui ravage tout, cinéma et fiction compris. Un art qui soit modeste et grandiose à la fois, qui sache quitter toute espérance pour faire de la politique librement, raconter l’histoire sans espoir ? Un film qui crée un vrai-faux parti, le parti du peuple prisonnier (dans un pays qui met en tôle celles et ceux qui, de Lea en Lula, veulent rendre le pétrole aux gens), dont les initiales, PPP, criées haut et fort dans les rues de la favela font peut-être renaître de ses cendres un certain Pasolini, auteur d’un roman titré Pétrole ? C’est pour mieux faire entendre tout le reste, la voix forte et fragile des damnées de la terre. L’histoire a commencé depuis toujours, elle prend encore de nouvelles formes, un film est tendu entre les deux.
Luc Chessel
Signaler une erreur Ajouté par Cinéma Spoutnik le 31 octobre 2022