La décadanse

𝐎𝐔𝐓𝐒𝐈𝐃𝐄 𝐍𝐎𝐈𝐒𝐄 𝐝𝐞 𝐓𝐞𝐝 𝐅𝐞𝐧𝐝𝐭

Spoutnik

𝐎𝐔𝐓𝐒𝐈𝐃𝐄 𝐍𝐎𝐈𝐒𝐄, 𝐓𝐞𝐝 𝐅𝐞𝐧𝐝𝐭, 𝟐𝟎𝟐𝟏, đ€đ„đ„đžđŠđšđ đ§đž, đ‚đšđ«đžÌđž 𝐝𝐼 𝐒𝐼𝐝, 𝟔𝟏’, 𝐕𝐹 𝐬𝐹𝐼𝐬-đ­đąđ­đ«đžÌ đŸđ«đšđ§đœÌ§đšđąs

Au retour d’un sĂ©jour Ă  New York, Daniela rend visite Ă  Mia, son amie berlinoise. Le jetlag n’arrange rien Ă  ses insomnies. Mia aussi dort mal, fatiguĂ©e « de ces jours vides oĂč il ne se passe rien ». Quelques mois plus tard, c’est Ă  son tour, accompagnĂ©e de Natasha, de passer quelques jours d’oisivetĂ© dans l’appartement viennois de Daniela. Leur spleen dĂ©soeuvrĂ© est Ă  l’opposĂ© de la passion dantesque qui animait les personnages de Classical Period. Sombre et inquiet sous ses airs de flĂąnerie dĂ©sinvolte, Outside Noise en est le contrechamp. C’est prĂ©cisĂ©ment la tension entre cette angoisse latente et la lĂ©gĂšretĂ© sobre et prĂ©cise de la mise en scĂšne qui fait la beautĂ© de ce Stimmungfilm. Les dialogues, dont le cinĂ©aste a partagĂ© l’écriture avec ses comĂ©diennes, tissent la toile serrĂ©e d’une autofiction oĂč viennent se prendre les trois jeunes femmes. Prendre ou pas un thĂ©, finir ou pas son mĂ©moire de master, visiter un musĂ©e ou un autre dans des villes qui se confondent dans une mĂȘme grisaille : l’existence, dans cette comĂ©die triste de l’équivalence, semble rĂ©duite Ă  faire du tourisme dans les limbes, Ă  tourner en rond dans le bruit du dehors. Entre les mailles de l’étude de caractĂšres se dĂ©pose un portrait de l’époque, d’un « temps en sursis », selon le titre du poĂšme d’Ingeborg Bachmann que Daniela lira peut-ĂȘtre l’automne prochain – pour le moment elle n’y arrive pas. Il faudrait agir, dit le poĂšme, se secouer, avant la venue des « temps durs ». Mais les femmes sont fatiguĂ©es et les hommes sont, au choix, odieux ou pĂ©nibles. La charleston, enseignĂ© Ă  Mia par un Ted Fendt malicieusement grimĂ© en guide touristique cosmopolite et polyglotte, ne semble pas ĂȘtre la solution. Rien de tragique, certes, mais la question qui, dans le magnifique Ă©pilogue, ponctue cette tendre dĂ©rive, laisse flotter un parfum d’amĂšre nostalgie : une vie romanesque, hĂ©roĂŻque, est-elle encore possible dans une Europe sans histoire ?
Cyril Neyrat

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Dans Broken Specs, l’un des trois courts-mĂ©trages de Ted Fendt, Mike Maccherone retrouve ses lunettes cassĂ©es sous une voiture, les rĂ©pare avec trois bouts de scotch, les laisse Ă  nouveau tomber sur une pizza partagĂ©e avec ses parents - mĂ©prisants - et les casse encore, en dansant chez ses ami.e.s, elleux aussi mĂ©prisant.e.s. Chez Ted Fendt, les aventures sont aussi triviales que celle de casser ses lunettes. Cinq films oĂč un petit monde de jeunes adultes traversent d’incessants dĂ©calages avec leur Ă©poque. Ce petit monde, ce sont les ami.e.s du cinĂ©aste, Ă  qui il laisse l’espace - cinĂ©matographique - d’exprimer leur Ă©trangetĂ©: pas dormir, trop lire, trop savoir, trop parler. Qu’ils soient Ă©tudiants ou munis d’un travail, Ă©rudits ou non, les personnages des films de Ted Fendt n’en sont pas moins perdus dans les villes qu’ils habitent ou visitent (Philadelphie, Berlin, Vienne).
Dans Outside Noise: «Les individus ne savent pas Ă  quoi ils appartiennent ni qui ils sont. Tu dois retrouver tes repĂšres.» Dans Classical Period: «Je dois trouver un sujet. Quelque chose de prĂ©cis Ă  dĂ©velopper. Je suis trop confuse et dispersĂ©e. [
]. Je dois m’éclaircir les idĂ©es. [
]» Si ces films dĂ©peignent une gĂ©nĂ©ration en dĂ©shĂ©rence, ils proposent nĂ©anmoins des rĂ©voltes miniatures. Toujours dans Classical Period: «Je trouve utile de parler de tout ça avec d’autres.» Accordant une importance prĂ©pondĂ©rante Ă  l’écoute et Ă  la parole, Ted Fendt observe des ĂȘtres se lier entre eux et s’accompagner dans leurs doutes. Les Ă©tudiant.e.s de ces deux films ont encore ce luxe ou ce leurre d’avoir du temps. Le temps de discuter, de lire, de se balader mais aussi le temps de tourner en rond.
Au contraire, dans Short Stay, tout paraßt plus empressé, en témoigne le rythme du film. Ici, le temps manque. Mike doit chercher un toßt et enchaßne les petits boulots minables. La parole devient alors plutÎt pratique, à savoir que les relations existent à travers la demande réciproque de services. Cette fragile entraide matérielle laisse ainsi voir combien la précarité vient abßmer les relations humaines.
Si dans Outside Noise et Classical Period, l’amitiĂ© et l'Ă©rudition semblent ĂȘtre des refuges dans un monde sans repĂšres, il ne reste dans Short Stay rien d’autre que le visage impitoyable de l’AmĂ©rique.
Aussi, Ted Fendt prend soin d’inscrire prĂ©cisĂ©ment ses personnages dans les espaces et les lieux. Rues, marchĂ©s, bĂątiments, parcs que l’on aperçoit Ă  plusieurs reprises, caressĂ©s par des lumiĂšres diffĂ©rentes, Ă  l’aube, en journĂ©e, la nuit. Comme des personnages Ă  part entiĂšre. L’attention Ă  tous ces dĂ©tails montre combien ces ĂȘtres sont tissĂ©s par ce qui les entoure. Les chemins semĂ©s d’incertitudes que dessinent ces films nous disent nĂ©anmoins qu’il y a peut-ĂȘtre encore un peu de foi Ă  nicher dans des choses aussi mineures que cet immense chĂȘne filmĂ© avec l’éclat du 35mm.
Tom et Nathan
Signaler une erreur AjoutĂ© par CinĂ©ma Spoutnik le 25 mars 2022