La décadanse

CHICHARRO

Milkshake Agency

Quelques virages serrés, la route descend à pic, traverse un village qui s’étale le long de la côte. Un grand parking ouvert sur la mer, cerné de baraques, toutes fermées, certaines anonymes, d’autres non, qui annoncent de la bière ou de la friture. Une immense structure décharnée marque l’entrée, fantomatique, traversée par le vent.
Plus loin une plage de sable noir s’étend au pied de la montagne. On s’y réchauffe, on plonge. L’ombre nous recouvre – le soleil se couche et nous sommes du mauvais côté de l’île.

Chicharro est issu de la rencontre de plusieurs sources, matérielles et mémorielles. Comme souvent dans le travail de Luc, les formes ont des origines multiples, certaines induites par le matériau lui-même, d’autres liées à des bribes de souvenirs pas nécessairement identifiés – même lorsqu’il pratique une peinture géométrique, il ne prend pas d’image ni de relevé des formes qui retiennent son attention, mais est au contraire curieux de la manière dont elles transitent par sa mémoire.

Dans l’espace de la milkshake agency à Genève, des triangles découpés dans des chambres à air de voiture sont assemblés en une grande guirlande, brute, presque sinistre, qui tend à s’affaler dans la fenêtre. La fête est finie, oui, non, l’installation se poursuit comme on file une idée avec ces fanions, encrés, devenus montagnes. Luc aborde ici la série par un geste systématique qui révèle la singularité de chaque forme. Les lignes du caoutchouc se changent en route, les côtés du triangle en reliefs plongeants, on passe de l’une à l’autre de ces empreintes renversées comme on contemple un paysage.

Placés à différents endroits, d’étranges formes de tissu, certaines tachées, d’autres non, semblent avoir été utilisées dans le processus. Entre la poupée des imprimeurs – petite boule de tissu destinée à appliquer l’encre –, des outils d’impression japonais, les ballots d’herbes chaudes dont on se sert pour les massages thaïlandais et le nouage pratiqué en cuisine, ces objets d’intersection faits de draps familiaux oscillent entre objets utilitaires et fétiches, et suggèrent des usages tout en ne les expliquant pas vraiment.

Composée de ces différents éléments, l’installation chicharro est marquée par le souvenir d’un lieu, et découpe un temps, comme si l’on arrivait au milieu d’un processus, comme si l’on interrompait le cours des pensées.

Isaline Vuille, octobre 2017



Luc Aubort (*1971, la Chaux de Fonds) vit et travaille à Lausanne

www.lucaubort.ch
lucaubort@sunrise.ch
00:00 – 00:00
visible en vitrine 7/7 et sur RDV
Signaler une erreur Ajouté par xiaturlin le 29 octobre 2017