La décadanse

Hommage à Edouard Levé

Fonderie Kugler

Nous nous mise en abîme
Le 15 octobre 2017 - 10 ans après
Un hommage à Edouard Levé suicidé le 15 octobre 2007


10 ans jour pour jour après le suicide de son ami Edouard Levé - écrivain, photographe et peintre - Melissa Cascarino partage une expérience chorégraphique en hommage à l’artiste.

Quelques jours avant son suicide le 15 octobre 2007, Edouard Levé remet à son éditeur P.O.L à Paris, le manuscrit de Suicide, une mise en abîme… du suicide d’un ami d’Edouard, 20 ans plus tôt. Il s’adresse à cet ami avec le TU, mais dans une mise à distance qui est peut-être l’ADN de toute son œuvre.

« Ta vie fut moins triste que ton suicide ne le laisse penser », dit-il à son ami.

Ici l’expérience chorégraphique en solo met en abîme les œuvres littéraires et photographiques d’Edouard Levé, les gestes et les concepts, une écriture de l’énumération, de la froideur et de l’assemblage cru des réalités. Melissa cherche à adapter quelques paradigmes chorégraphiques aux procédés de composition ou « non-composition » d’Edouard Levé, aux techniques ou « non-techniques » de récit et d’énonciation, qui constituent au final un paysage littéraire et esthétique à la fois précis et insaisissable, extrêmement singulier et insolite, reconnaissable entre tous.

Le Nous du titre donné par Melissa Cascarino est celui de l’amitié et de l’admiration, celui de la mise en abîme du Nous de l’amitié et de l’amour dans l’œuvre, du « Nous nous » dans la tentative de faire ensemble, le Nous noyé dans la mise en abîme continuelle de l’œuvre, des discussions autour des œuvres, d’un partage des réalités quotidiennes, d’un« je » et d’un « jeu » troubles. « Nous nous mise en abîme » est l’histoire d’une noyade

Enoncer, empiler, énumérer, coller, cataloguer, mettre côte à côte, effacer, supprimer, élaguer, gommer, annihiler, tronquer, blanchir, estomper et dire ce qui est, là, maintenant.

Dans une œuvre dépourvue d’effets, d’affects et de pathos, mais pourvue d’une irréfutable litanie d’énonciations, d’états des lieux, de constats et de juxtapositions de réalités d’origines multiples, la chorégraphe tente de créer un état des lieux et des corps en présence dans l’œuvre d’Edouard Levé, en tentant de se détacher de l’affect de la relation amicale, se détacher du souvenir sentimental, en se remémorant simplement la mise en abîme continue qu’une journée avec Edouard Levé révélait. Bien que son œuvre se définisse par une certaine froideur, distance, austérité, ascétisme, elle la transpire pourtant cette froideur. Une sorte de sueur froide, selon Melissa Cascarino. Le procédé même de laisser l’écriture au bord du précipice, sur les rives du fleuve, en équilibre au-dessus du vide, cette nécessité chez Edouard de prendre le geste artistique (que ce soit par la photographie ou l’écriture ) dans la glace, de le fixer dans un jeu dénué, dépourvu, dépouillé, détaché, distancié, dénudé…. de ne pas laisser l’expression artistique sombrer dans les remous denses et profonds de la violence , cette nécessité même de le rendre froid le fait transpirer d’une grande violence. Le cru est bien plus puissant que le cuit. L’écriture de Levé n’est pas dans les remous du fleuve, mais sur les bords, tout au bord…
A cette image qui m’est venue en pensant à Edouard, la phrase de Bertold Brecht arrive en écho.

« On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. » Bertold Brecht

Au travers des œuvres Journal, Oeuvres, Autoportrait et Suicide, au travers l’univers photographique, Melissa Cascarino partage un corps qui serait celui d’une prise de notes, un corps de l’idée pour elle-même et dont le développement n’a pas d’intérêt, un corps dont les gestes appartiennent à d’autres, un corps à côté, un corps au mouvement blanc, un corps aux gestes superposés, collés à des réalités qui ne lui appartiennent pas.

« Ton suicide rend plus intense la vie de ceux qui t'ont survécu. Si l'ennui les menace, ou si l'absurdité de leur vie jaillit au détour d'un miroir cruel, qu'ils se souviennent de toi, et la douleur d'exister leur semble préférable à l'inquiétude de ne plus être. Ce que tu ne vois plus, ils le regardent. Ce que tu n'entends plus, ils l'écoutent. [...] Tu es cette lumière noire mais intense qui, depuis ta nuit, éclaire à nouveau le jour qu'ils ne voyaient plus. »

concept et corps | melissa cascarino
objets et vêtements | melissa cascarino et toni teixeira
lumière | jean-marc tinguely
textes | extraits de Journal, œuvres, Autoportrait et Suicide d’Edouard Levé
photos | Edouard Levé
épitaphe | melissa cascarino
production | VelvetBlues
15:00 – 17:30
Chapeau à la fin
Signaler une erreur Ajouté par Fonderie Kugler le 8 octobre 2017