La décadanse

Le Songe d’une nuit d’été

L'Orangerie

de William Shakespeare

"Voici un songe. Voici une maison, une forêt, des amoureux, une longue nuit d’été. Voici qu’Hermia aime et veut épouser Lysandre, qui l’aime en retour. Mais elle est destinée à Démétrius ; son père en a décidé ainsi et si elle refuse, elle moura. Voici ainsi, pour ouvrir l’Orangerie, cette sublime farce poétique, récit de nos bêtises, de nos heurts, de nos passions éphémères, et de l’art du théâtre. Hermia et Lysandre vont se donner rendez-vous en forêt pour fuir ensemble l’injonction paternelle, mais une troupe de comédiens, en quête d’un lieu apte à leurs répétitions, en fera de même. Lorsque les Dieux se mêleront aux rencontres hasardeuses, se jouant des hommes et de leurs fragilités, la vérité de l’amour en sortira nue et assoiffée.
Quatorze ans après « Le Roi Lear », cette pièce signe le retour de Frédéric Polier à Shakespeare en tant que metteur en scène. « J’avais véritablement envie d’offrir un songe à l’Orangerie et ce projet collait parfaitement à l’esprit de notre troupe l’Atelier Sphinx, créée en 1999. Nous savons que la scène élisabéthaine et le théâtre de Shakespeare se contentent d’un plateau nu puisque la langue à elle seule contient le lieu, le temps et l’action ; mais ici la forêt est la réalité du songe, elle en est le personnage, de même que la lune y est la marque du Temps,
il s’agit donc bien de faire de l’Orangerie le théâtre tout entier de la pièce et de lui offrir une scénographie, une musique, en parfaite résonance. » Ce que demande Shakespeare est universel : sommes-nous face à un désordre amoureux ou seulement face à l’égocentrisme humain ? À son désir de toujours posséder ce que son voisin possède ? À sa volonté d’aimer le même amour ? Aristote écrivait « L’homme diffère des autres animaux en ce qu’il soit le plus apte à l’imitation ». Shakespeare dit : « Alors ils seront deux à courtiser la même ; cela seul fera un spectacle réjouissant. »
Karelle Ménine

Voici bientôt quinze ans que j’ai mis en scène «Le Roi Lear» dans la salle de répétition de la Comédie de l’époque, à l’ancien palais des expositions. Créé dans un lieu alternatif, l’année suivante le spectacle était repris au Théâtre Pitoëff dans le cadre de la Bâtie.

Depuis, j’ai eu l’occasion de jouer Shakespeare dans une dizaine de productions, dirigées par des metteurs en scène de tous bords comme Valentin Rossier, Laurence Calame, Chantal Morel, Séverine Bujard, et Guillaume Chenevière à Carouge. Et pourtant le mystère reste intact et le plaisir aussi.
Incarner les personnages de Shakespeare, mordre dans sa langue, la traverser, la projeter reste toujours aussi énigmatiquement fort et jubilatoire.

Quant au « Songe d’une nuit d’été », il s’agit bien d’un des premiers chef-d’oeuvres de William Shakespeare, une pièce populaire mais complexe, et qui demande un important travail de dramaturgie et de jeu. Il est en effet souhaitable de transcender une vision un peu convenue de cette pièce.

Shakespeare développe l’expression d’une idée jusqu’à sa finalité, il déploie pleinement la nature d’un sentiment ou d’une situation dramatique. C’est en cela que tout intimidant soit-il, il demeure l’auteur le plus fraternel.

Monter Shakespeare, c’est à mon sens, s’embarquer pour un voyage au climat incertain: temps calme, et soudain, un typhon, qui balaie tout le paysage de nos certitudes. La terre tremble, les fleuves débordent et la tempête fait rage, la mer se déchaîne !
Le théâtre de Shakespeare n’est pas un théâtre assis, configuré, déterminé. Ce sont des surgissements permanents d’armées, de forêts, de rois, de spectre, de fous, d’amoureux qui se heurtent. Il éveille, bouscule, charrie tous les excès et les accès à la conscience, au coeur des vies et au delà.

La popularité actuelle de Shakespeare fait oublier le succès relatif qu’il connut de son vivant et la longue éclipse de renommée qui allait suivre sa mort. Il fut raillé et vilipendé par tous les plus grands esprits au XVIIe et XVIIIe et l’unanimité de la critique à son endroit déconcerte aujourd’hui. On le juge artificiel, industrieux, sans grâce, grossier; on l’accuse de plagiat, de n’être qu’« un corbeau paré des plumes d’autrui ». Pope, Dryden s’en moquent sans retenue. Voltaire qui le découvre lors de son voyage en Angleterre en 1728, prend plaisir à tirer sur «l’histrion barbare». S’adressant au Cardinal de Bernis, il disait: « Faites de jolis vers, délivrez-nous, monseigneur, des fléaux, des welches, de l’académie du roi de Prusse, de la bulle Unigenitus, [...] et de ce niais de Shakespeare ! Libera nos, Domine. »

Il en fera tant qu’on finira malgré tout par s’intéresser de plus près, des deux côtés de la Manche, à l’oeuvre de Shakespeare. Furieux, Voltaire devra reconnaître sur le tard, que la grandeur de Shakespeare était faite pour résister à ses traits les plus cruels; déjà à ce moment, la gloire de Shakespeare éclipsait celle des plus grands auteurs français. Les deux Hugo réhabiliteront définitivement Shakespeare.

Jugement de Lessing
(…) Tout, jusqu’aux plus petites parties, dans Shakespeare, est taillé suivant les grandes proportions du drame historique; et celui-ci est à la tragédie dans le goût français à peu près comme une large fresque est à une miniature pour bague.
Qu’est-ce que cette dernière peut emprunter à l’autre, si ce n’est peut-être une tête, une seule figure, tout au plus un petit groupe, qu’il faut ensuite traiter comme un tout complet? Ainsi des pensées détachées de Shakespeare deviendraient des scènes entières; et des scènes qu’on lui emprunterait deviendraient des actes.
Si l’on enlève la manche de l’habit d’un géant, et qu’on veuille en tirer parti pour un nain, il ne faut pas en faire une manche, mais un habit tout entier."

Gotthold Ephraim Lessing
20:30
10.- à 27.-
Signaler une erreur Ajouté par michel le 23 juin 2008