La décadanse

Première étoile, dernier flocon

Villa du Parc, centre d'art contemporain

Synopsis pour une exposition sur la montagne contemporaine

1/ Les sentinelles de la Vallée de l’Arve

L’exposition « Première étoile, dernier flocon » est née de l’envie de faire écho à des questions climatiques qui se posent quotidiennement à Annemasse et dans ses alentours. Situé dans les Alpes occidentales, ce territoire suit en fond de vallée le cours de l’Arve, rivière parallèle à l’autoroute A40, rejoint à moyenne altitude de nombreuses stations de ski mythiques comme Chamonix, Megève, Flaine ou Avoriaz, et culmine dans les massifs alpins - Chablais, Bornes, Aravis, Haut-Giffre, Aiguilles rouges et bien sûr le Mont-Blanc en surplomb. En Haute-Savoie, les prévisions météorologiques n’ont rien d’anecdotiques, le sujet est même hautement économique et rythme de nombreuses conversations. « Annule-t-on la sortie neige à Plaine-Joux des grandes sections ? Est-il possible d’apporter de la neige par camions quand il fait trop chaud pour utiliser les canons au Petit Bornand ? Comment enrayer le triste record de 35 jours successifs de pic de pollution aux particules fines dans la vallée de l’Arve ? Est-ce que je pose une demi-journée pour profiter de la petite tombée de neige d’hier ? » s’interroge tout un chacun selon ses activités professionnelles, sportives, électives, etc.

Aujourd’hui, le réchauffement climatique, aux effets particulièrement visibles dans les Alpes et sur la chaîne du Mont-Blanc, agit comme un révélateur et pousse à une réévaluation des enjeux économiques et environnementaux, relayée par une opinion publique locale et internationale de plus en plus attentive et mobilisée pour la préservation des écosystèmes.

Dans un parcours s’intéressant aux activités et paysages à différentes
altitudes, l’exposition souhaite aborder la montagne contemporaine comme une géographie vécue, à rebours de l’imaginaire dominant du Sublime romantique développé à partir du XVIIIe siècle puis de l’iconographie publicitaire vantant la montagne comme territoire pur, intact et préservé. Toujours fascinés par la montagne, les artistes en représentent les multiples facettes, des plus terre-à-terre aux plus fantasmatiques. Le parti-pris est volontairement non-documentaire, abordant de manière distanciée quelques éléments incontournables : la neige, la vue, le chalet, le domaine skiable, les sports d’hiver, l’avalanche, les sommets, les glaciers, le refuge, l’alpiniste, le froid, l’appel du grand Nord.

2/ L’or blanc

Le rez-de-chaussée de la Villa du Parc, dédié aux basses et moyennes altitudes, se focalise sur la dimension touristique et domestiquée de la montagne et de la construction d’une culture et d’un style de vie liés à la neige. D’un côté, les sports d’hiver sont l’occasion de regards amusés et facétieux, par exemple dans les œuvres des années 1960-70 de l’italien Luigi Ghirri et du suisse Daniel Spoerri ; Roman Signer, quant à lui, mène depuis les années 1960 des expériences drôles, poétiques et parfois explosives en milieu enneigé. Plus récemment, Alain Bublex envisage avec humour le label montagne dans des images où il ajoute des sommets célèbres pour améliorer la vue de certains paysages, tandis que Claude Closky retranscrit l’avis du consommateur sur des stations emblématiques pour lesquelles il imagine des polices typographiques spécifiques. Les excès et hyperboles touristiques en montagne se retrouvent dans la forme brute et critique des collages de Gaëlle Foray.

La nostalgie du paysage d’hiver imprègne de nombreuses pièces, comme l’œuvre dessinée de la française Valérie Sonnier, qui scrute en détails les souvenirs de sa maison d’enfance. L’installation patchwork rétro-futuriste du jeune peintre britannique Neil Raitt mêle motifs de forêt enneigée, de montagnes canadiennes et de tentes bédouines. Les « masques à faire tomber la neige » d’Evariste Richer agissent alors comme un nouveau rituel pour conjurer les années sans neige.

3/ « Ah mon père, je serais mal à l’aise dans ce vaste pays, j’aime encore mieux vivre sous les avalanches »

A l’étage, on se rapproche des nuages, en faisant la part belle aux représentations contemporaines de la haute montagne et des cimes, où valeurs et repères se perdent dans la cartographie des sommets qui se confondent avec les étoiles (Neal Beggs), et dans la ligne de crête du massif du Mont-Blanc devenue translucide et vaporeuse comme un nuage (Julien Discrit). En écho aux inquiétudes actuelles apparaissent des images spectrales, semblant disparaître ou s’abstraire, dans une série de radiographies sommitales dont on peine à distinguer le dessin (Dove Allouche) ou dans la peinture ténébreuse de la station météo du Pic du Midi détruite et abandonnée (Muriel Rodolosse). Parce qu’elle est terrain d’expériences intenses, humaines, esthétiques, scientifiques, la montagne se dit aussi en mots, en mesures, en matières. L’avalanche, par exemple, prend tour à tour la forme d’une grande plaque de calcite bleu (Evariste Richer), d’une peinture chatoyante et quasi marine sur plexiglas (Muriel Rodolosse), ou d’une vidéo dont le slogan bravache se voit immédiatement anéanti par la catastrophe naturelle (Elodie Pong). La figure de l’alpiniste, discrète, est gentiment brocardée dans la pose classique de la conquête du sommet (Wood & Harrison). Dans une veine d’appropriation ludique de la survie en milieu extrême, Nathalie Talec déploie dans une salle qui lui est consacrée son refuge de première nécessité, fait d’objets vitaux ornés de strass, mélangeant images documentaires et vernaculaires, portraits d’aventuriers sérieux à l’équipement quelque peu absurde. Elle ouvre à l’appel du grand Nord, terres d’expédition et d’inconnu où d’autres communautés vivent le froid extrême, ici poétiquement représentées par une poupée d’inuit faisant face à une vidéo psychédélique (Denis Savary).
14:00 – 18:30
entrée libre
Signaler une erreur Ajouté le 23 mai 2017