La décadanse

Compagnie Copier Coller

L'Abri

Compagnie Copier Coller
Bazin (durée 60')

Tidiani N’Diaye, chorégraphe et danseur
Arthur Eskenazi, danseur
Olivier Heinry, vidéo, son, lumières
Production, Copier Coller

Genèse du projet

Jeune malien venu en France pour poursuivre mes études dans le domaine artistique,et n’ayant dans mon pays jamais porté d’habit en Bazin, j’ai été surpris par l’attrait de mes amis français pour ce tissu. Il était amusant de constater que ce qui avait toujours été pour moi un objet du quotidien, se révélait être un objet intrinsèque à ma culture exerçant fascination et questionnement dans mon pays d’accueil.

En effet, suite à une visite au sein de ma famille en 2013 à Bamako, ma tante m’a fait présent d’un habit de Bazin. Le Bazin est un tissu blanc damassé teinté et amidonné grâce à un trempage dans un bain de gomme. Chaque Bazin comporte un motif inscrit dans la trame. Initialement blanc, le tissu est teint en une ou plusieurs couleurs avec différents motifs, le plus souvent à la demande, avant d'être parfois orné de broderies. C'est au Mali et au Sénégal que ce tissu reconnaissable à sa raideur, son aspect brillant et son bruissement, est le plus couramment porté.

Dès lors à mon retour en France, j’étais fier d’arborer mon costume. Quelle n’a pas été ma surprise de voir le succès et les interrogations que suscitait ma tenue tant auprès de mes camarades, que de simples inconnus dans la rue.

C’est ainsi qu’est née une réflexion artistique avec l’envie de faire connaître au public une partie de ma culture intimement liée au Bazin. Ces réflexions ont abouti à la création en 2015 du projet Bazin.

Démarche chorégraphique

Bazin c’est avant tout l’histoire d’une rencontre entre deux corps et une chimère de tissu. L’objectif est de produire un rapport perméable et intime entre les corps et le tissu afin que, se mettant à tour de rôle au service de l’un et de l’autre, il devienne impossible de les distinguer. Est-ce le corps qui fait l’habit ou l’inverse ? Passant en un clin d’œil du grotesque au sublime, se forme et se déforme tantôt un monstre, tantôt un nuage qui capture, attrape, avale, accouche et engloutit des corps, ou « simple » costume traditionnel, le tissu devient personnage principal de l’histoire, mais encore faut-il que quelqu’un soit présent pour le mettre en mouvement.

Ma démarche chorégraphique consiste en la personnification du Bazin comme une allégorie de l’esprit malien, à la frontière du visible et de l’invisible entre l’art et l’artisanat. L’esprit malien …
… c’est pour moi cette capacité d’appropriation de l’objet afin de lui donner une nouvelle identité. Au Mali tout se récupère, tout se transforme, tout se détourne de son usage premier. L’esprit malien c’est aussi l’apparat, l’importance de montrer et de montrer que l’on possède. Le Bazin, est avant tout un tissu venu d’Europe et vendu quasi exclusivement en Afrique de l’Ouest. Ce grand marché pose nécessairement la question des dépendances et des traces de la colonisation. Pour autant c’est au Mali que le Bazin acquiert toute sa valeur, il y est transformé par des mains expertes pour être relevé dans toute sa splendeur. Quelles transformations possibles pour ces vestiges coloniaux ?

Pour autant la question n’est pas identitaire, celle qui crée une dichotomie entre Afrique et Europe, entre Noir et Blanc. Le performeur qui m’accompagne sur scène est français, et il est aussi blanc que je suis noir. Pourtant ce n’est pas de cette identité comme clivage dont il est propos, mais c’est plutôt la question des identités multiples qui façonnent un être humain, qui se jouent dans les corps.

Dès lors les deux grands thèmes abordés dans la chorégraphie sont le détournement et la multiplicité. Par la danse le tissu subit sa troisième transformation dans un jeu subtil de métamorphose : il est tantôt lange, tantôt linceul, matière dansante. Il est aussi le lien entre les danseurs, cordon ombilical, camisole de force pour deux personnes. En se mêlant, en s’emmêlant, corps et tissu ne font qu’un jusqu’à ce que seule subsiste sur scène une créature onirique.

Les deux corps liés par le Bazin dans un jeu de balancier entament une danse de lutte contre la pesanteur. C’est la métaphore de l’altérité comme seul remède possible à la solitude des corps et êtres. Les mouvements d’une précision métronomique m’ont été inspirés par la danse Butoh. Les corps dialoguent entre eux à travers et par le tissu.

La danse met en lumière cette dualité intrinsèque à chacun. Des hommes statufiés dans une attitude de défi symbolisent les injonctions faites à l’individu d’être fort, d’être unique. Pour autant cette chorégraphie en miroir laisse entrevoir l’absurdité de telles injonctions. Dès lors les corps se ressaisissent, solidaires par le mouvement, intimement liés par le tissu pour pouvoir arriver à la libération.

Cette danse m’a été en partie inspirée par des séances de pose de modèles vivants, inconnus exposés à tous les regards, où chacun se projette, où le temps parait suspendu, où le mouvement se décompose avec lenteur : « Vous avez la montre, nous avons le temps. » Le temps de montrer, le temps de voir, le temps de se faire voir aussi. Corps statufiés, statues vivantes, paraitre et apparaitre sont ici des mouvements.

La mise en scène est frontale, dans un face à face avec le public, où l’espace se transforme selon une géométrie poétique oscillant toujours vers deux pôles opposés entre défi et tendresse.

La bande sonore accompagnant Bazin est minimaliste, constituée d’un montage de sons captés auprès des artisans du Bazin, de chants de griots, de craquements de tissus…

Support vidéo

L’une des composantes de la pièce consiste en un travail de vidéo et de lumière dans une fonction de support : les deux servent conjointement à créer un espace, un cadre.

La vidéo permet d’anguler la pièce comme un travail de prestidigitation pour attirer le regard du spectateur sur ce qu’il doit voir, une partie obscure étant toujours présente comme un mystère pesant sur la pièce. La vidéo doit transporter le public dans un autre espace temps et le conduire à une entrée rapide dans l’univers qui se construit sous ses yeux.

Deux séquences majeures méritent une description plus approfondie.

Une première consiste en la mise en abime des danseurs en échos aux questionnements relatifs à la multiplicité des identités. Elle reprend l’un des tableaux chorégraphique dans une projection frontale avec un travail de vidéo-interactive transformant les corps jusqu’à les déformer, les défigurer comme une parodie d’eux même.

La seconde constituée d’images captées en amont est une projection descendante de motifs de Bazin qui s’écoulent du ciel vers le sol, donnant l’impression que le Bazin est teinté sous nos yeux. L’espace s’habille, les corps se parent.
16:00 – 17:00
Entrée libre, dans la limite des places disponibles.
Signaler une erreur Ajouté le 8 février 2017