La décadanse

Barbara Ellmerer, Caroline Schmoll

D’une esthétique séduisante au premier regard, les peintures de Barbara Ellmerer révèlent peu à peu leur part d’étrangeté où l’innocent végétal se mue progressivement en plante vénéneuse, faisant planer une atmosphère envoûtante et inquiétante à la fois. La matière picturale généreuse – où l’huile vient parfois se heurter à la laque soyeuse et au nitrate d’argent qui semble fissurer d’interstices sombres cette pâte onctueuse – se concentre en une palette chromatique réduite qui préfère jouer avec les nuances plutôt que les contrastes. Fluides, ces compositions souvent de grand format vibrent par la juxtaposition de tonalités pastels, voire de camaïeux, que ponctuent des taches de couleurs vives. Le propos de Barbara Ellmerer se concentre justement dans cette vibrance sourde mais puissante, dans cette focalisation sur quelques éléments surgissant du magma, qui répercutent le flux vital, l’énergie qui fait éclore les bourgeons, le frémissement du monde cellulaire. Avec une présence matérielle palpable, sa peinture capte l’invisible, révèle ce que la vue ne peut percevoir. Parler de poésie du vivant – même si cet élément est présent en superficie – serait réducteur, car le discours de la plasticienne va au-delà, réunissant énigmatique beauté et complexité scientifique sans s’encombrer de détails, plongeant directement dans le concept réduit à l’essentiel et rendu par ce fait si immédiatement perceptible par les sens et l’intellect réunis.

Matérialisations de ses visions intérieures, les étranges objets de Caroline Schmoll touchent aux sources du rituel, de la poésie et du symbole. Travaillant par séries, elle explore jusqu’à l’extrême les variations formelles et matérielles qui réunissent le cuir, le poil, le grès ou la porcelaine, dans un vocabulaire qui recherche ses racines dans l’animal, le végétal ou le viscéral. Ces parures bizarres – ou «atribu», selon le titre qu’elle leur donne – semblent sortis de quelque cabinet des curiosités ou d’un musée d’ethnographie imaginaire. Et pourtant, elles ont quelque chose de familier, ne serait-ce que par la présence des végétaux ou des arêtes de poisson, fragilisés par leur transformation en porcelaine fine, qui leur confère une préciosité exacerbée encore par la juxtaposition avec la peau de lapin. Les pièces de la dernière série «offrandes» sont une fusion entre l’organique animal, le bourgeonnement végétal et le monde sous-marin. Caressée par la lumière leur membrane semble palpiter, de même que paraissent frémir les touffes tentaculaires surgies des anfractuosités. L’attrait mystérieux que dégagent les œuvres de Caroline Schmoll est issu de cette subtile frontière entre vie et mort que l’artiste réussit à rendre tangible, à l’instar de l’installation «somnia et chimaeram», inspirée d’un poème de Baudelaire, et présentée au Musée de l’Ariana en 2015. Figées en une pluie immobile, des formes végétales en porcelaine forment une grappe en suspension évoquant la «caresse d’un rêve».
Signaler une erreur Ajouté par Guanac le 6 janvier 2017