La décadanse

JEANNE DIELMAN, 23, QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES de Chantal Akerman

Spoutnik

EANNE DIELMAN, 23, QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES, Chantal Akerman, Belgique,1976, 201’

Trois jours de la vie d’une mère veuve qui se prostitue chez elle pour joindre les deux bouts.

“Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, film d’une cinéaste de 25 ans sorti en 1975, ressort, restauré et digitalisé, cinquante ans après. Auréolé de plus, depuis quelques mois, d’un beau label piège, «meilleur film de tous les temps», établi par le classement décennal de Sight & Sound, revue de cinéma du British Film Institute. Magnifique hold-up, que les proprios du bon goût ont encore mal pris, comme à sa sortie, ne voulant irrévocablement rien entendre du film d’Akerman. Les pauvres, le film leur a volé Delphine Seyrig qui s’échappa, la star sphynx et fatale passée à l’ennemie, devenue radicalement insaisissable : la mère qui se prostitue pour survivre, la veuve en robe de chambre au petit matin, la femme de 40 ans qui se mure dans le silence, de son histoire, du passé des camps qui plane sur tout le film, ou «la ménagère de moins de 50 ans» dont chaque publicitaire a voulu exploiter le désœuvrement, désamorcer le scandale de «la vie matérielle», pour en faire son fonds de «commerce» et son cœur de cible. Seyrig et Akerman en face-à-face, composant à deux la figure hybride de Jeanne Dielman, sont un peu toutes les femmes réunies. Mais jamais plus, «la» femme. Il y a cette donnée irréductible de Jeanne Dielman, ce calme attentat, tenant à sa durée, à sa rupture avec les codes et les genres, à sa répétition, au détournement de sa vedette (aristocrate), et à sa geste féminine. La «chanson de gestes» qu’est littéralement Jeanne Dielman, outrage.”(Camille Nevers)
Signaler une erreur Ajouté par Cinéma Spoutnik le 5 septembre 2023